les enjeux d’une bonne observance

Depuis plusieurs années, l’amélioration de l’observance est considérée, en particulier pour les maladies chroniques, comme un facteur de progrès thérapeutiques et d’économies au sein du système de santé. L’OMS va même jusqu’à considérer que l’efficacité des actions entreprises pour favoriser l’observance pourrait avoir sur la santé des populations un impact plus important que n’importe quelle découverte médicale (“Increasing the effectiveness of adherence interventions may have a far greater impact on the health of the population than any improvement in specific medical treatments”)
Vincent Bildstein, président d’IMSHealth, ne dit pas autre chose quand il suggère que « la plus grande innovation thérapeutique dans les prochaines années serait d’améliorer l’observance ».

Les conséquences de la mauvaise observance sont en effet pour le dire simplement une « mauvaise santé » et des coûts accrus pour le malade et la société.
La mauvaise observance entraîne morbidité et mortalité.
En matière de coûts, elle génère des coûts directs plus élevés résultant de traitements plus lourds qui auraient pu être évités, ainsi que de complications qu’il convient ensuite de prendre en charge. Ainsi l’étude de IMS Health chiffre-t-elle à au moins 9Mds € par an le coût direct de la faible observance des traitements en France dans 6 grandes pathologies chroniques.

L’observance est fonction de nombreux facteurs :
⁃ la nature de la maladie (gravité réelle ou perçue, chronicité, « silencieuse » ou « bruyante », douleur associée, caractère plus ou moins invalidant , transmissibilité, …),
⁃ l’ « expérience du patient » ( histoire, croyances, environnement familial ou/et social, connaissances médicales, conscience de l’intérêt général, état psychologique…),
⁃ le traitement (efficacité réelle ou supposée, dérangement, inconfort…),
⁃ les professionnels de santé, (sensibilisation-formation à l’observance, compréhension de l’état du patient, persuasion, implication dans le suivi …)
⁃ l’information disponible sur l’observance (indicateurs, modalités de mise à disposition, périodicité, pertinence…).

Il en résulte une multitude de leviers sur lesquels il est possible (souhaitable) d’agir pour améliorer le niveau d’observance. Et comme le relève l’étude Sabaté-OMS de 2003, il n’est pas possible de se contenter d’approches simples et monofactorielles telles qu’elles prévalaient quand initialement on a incriminé le patient puis, plus tard, le médecin dans le non suivi du traitement. Des approches systémiques sont aujourd’hui considérées comme nécessaires et mêlent des actions de court moyen et long terme pour être efficaces durablement.

Même si la plupart des travaux portent sur l’observance médicamenteuse les freins à l’observance et les actions à entreprendre pour l’améliorer restent pertinents quand il s’agit de l’utilisation de dispositifs médicaux .

Mais le débat sur l’observance pose des problèmes d’éthique qui ne doivent pas être niés.
La loi du 4 mars 2002 énonce que « toute personne prend…les décisions concernant sa santé…Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». Il peut donc, dans ces conditions, y avoir une contradiction entre le désir d’améliorer l’observance et un texte législatif qui peut être lu comme une reconnaissance du droit des patients à ne pas être observant.
En outre, dans une période où les ressources sont limitées, il y a lieu de s’interroger sur le remboursement, par la solidarité nationale , de médicaments ou de dispositifs à des patients non observants qui limitent la capacité de la société à prendre mieux en charge des personnes qui elles souhaiteraient se soigner.
Du fait de leur sensibilité ces sujets relèvent de la représentation nationale, elle même éclairée par des collèges d’experts et comités d’éthiques, voire par une expression citoyenne dont les modalités seraient à définir.

Quoi qu’il en soit des réponses apportées à ces questions, un panel de dispositions peut être envisagé.

Des actions de formation des intervenants et parties prenantes au système de santé, sont nécessaires et concernent donc à des degrés divers professionnels de santé (médecins , pharmaciens, infirmiers), prestataires et responsables de structures d’accueil mais aussi administrateurs chargés de la régulation et des priorités de santé publique.

Des actions de sensibilisation des citoyens, potentiels patients, au fonctionnement de notre sytème de santé publique et aux répercussions de choix individuels sur le collectif, ainsi que des programmes d’éducation thérapeutiques sont également importants pour combattre la non connaissance de la réalité des coûts pris en charge par la société dans le cadre d’un système de prise en charge par l’assurance maladie et/ou les mutuelles complémentaires transparent pour les bénéficiaires.
Au delà de la formation-sensibilisation, on peut imaginer intervenir sur les motivations de ces différentes populations par des systèmes « d’incentives » négatifs ou positifs ciblés et calibrés, correspondant aux responsabilités de chacun, mais surtout négociés pour être compris et acceptés. Des initiatives existent et des dispositifs expérimentaux pourraient être testés avant généralisation.

Les avancées technologiques, la fiabilité et l’extension de la couverture des réseaux et la multiplication des objets connectés rendent aujourd’hui possibles des transmissions de données automatiques donc non contraignantes, la manipulation et le traitement des données dans des conditions de confidentialité acceptables, des systèmes d’analyse performants et la mise à dispositions d’alertes ciblées et tracées exploitables par chacun des intervenants en fonction des responsabilités qui lui sont confiées. Une étude menée à l’hôpital de La Timone à Marseille par les docteurs Quilicci et Cuisset, publiée en février 2013 par la revue « international journal of cardiology » a démontré que des patients destinataires de sms quotidiens les incitant à prendre leurs traitement anti agrégant par aspirine sont plus observants que ceux qui ne reçoivent pas de message.
Dans le traitement de l’apnée du sommeil, il a été possible de concevoir et de déployer très rapidement des machines permettant un suivi fin à distance des conditions du suivi du traitement et des éventuels dysfonctionnements.

Il n’en reste pas moins que même si le patient ne doit être ni stigmatisé ni culpabilisé, il est au centre de la problématique de l’observance. Il ne doit pas être considéré comme un individu porteur d’une pathologie qu’il convient de traiter par le respect d’une prescription, qui la plupart du temps lui aurait été imposée sans discussion ni choix préalable, mais bien comme un individu dans sa globalité (vie familiale, travail, logement, vie sociale). C’est lui le souffrant et c’est lui qui en dernier ressort décide de suivre ou non le traitement qui lui est proposé . C’est lui qui est confronté à l’angoisse à la gestion de son image, qui doit faire face au déni de la maladie ou au contraire à la tentation de demeurer le sujet malade auquel on s’intéresse alors que l’individu sain qu’il pourrait redevenir le rendrait à nouveau anonyme, lui qui doit se débattre et au mieux arbitrer entre des désagréments, ou des pulsions contradictoires de vie et de mort, réorganiser sa vie, faire le deuil de certains comportements habitudes ou potentialités. C’est donc lui qui doit être aidé et accompagné par les intervenants et les associations qui jouent un rôle extrêmement important. C’est à lui que prioritairement doivent être fournies les données les plus objectives et assimilables.

Les prestataires de santé à domicile, particulièrement sensibilisés par le projet avorté du fait de la décision du Conseil d’Etat de novembre 2014 de déremboursement des patients apnéiques non observants (1) ont conscience d’être investis d’une part de responsabilité dans cette problématique. Certains, qui parfois vont même jusqu’à leur dénier le droit d’exister au motif qu’ils relèvent d’une logique marchande et doivent pour se développer et proposer des prestations de qualité, dégager un niveau de rentabilité minimum, ne manqueront pas de relever que c’est leur intérêt bien compris que d’avoir, du fait d’un taux d’observance élevé, un plus grand nombre de patients. Ce serait oublier qu’ils ont conscience d’exercer une mission de service publique, que leur raison d’être est de contribuer à soigner des patients, et qu’ils sont disposés à conduire à la fois les nécessaires efforts pour travailler avec les industriels à rendre les dispositifs médicaux qu’ils installent plus supportables et pour développer le concept de bon usage de ces dispositifs. Ce serait oublier les investissements qu’ils consentent et les gains de productivité qu’ils recherchent pour réduire les coûts et ainsi faire bénéficier les patients et la collectivité d’un système de santé efficient et durable. C’est la raison pour laquelle ils continueront, malgré la décision du Conseil d’Etat du 23 novembre 2014 et la baisse des tarifs de la prestation de PPC, sous réserve de l’accord des interessés, à relever et à transmettre les données d’observance aux prescripteurs et à leurs patients. C’est la raison pour laquelle ils espèrent qu’un débat parlementaire sera organisé sur le sujet.
C’est ainsi que les PSAD adhérents d’UPSADI proposent que :

⁃ le Parlement soit saisi du sujet, y compris sur les questions éthiques soulevées,
⁃ l’amélioration de l’observance constitue l’une des priorités du système de santé,
⁃ des études épidémiologiques et économiques soient lancées,
⁃ des études sur le coût d’une meilleure observance soient systématiquement menées et comparées aux études de coûts liés à la non observance,
⁃ des retours d’expérience soient conduits sur les initiatives déjà engagées
⁃ des expériences soient conduites pour gratifier les intervenants en fonction des résultats d’observance observés et des efforts conduits,
⁃ des outils soient développés pour aider le patient (apport d’informations, brochures pédagogiques, supports d’entretien lors d’installations de dispositifs, consultations psychologiques…)
⁃ des plates formes interopérables soient expérimentées pour faire circuler l’information,
⁃ les données de l’assurance maladie soient exploitées pour permettre des études d’observance,
⁃ les patients soient systématiquement informés sur les conséquences de la non observance

Didier Doulas
Président d’UPSADI

(1)L’observance des patients apnéiques est un enjeu majeur du syndrome d’apnée du sommeil, le taux d’abandon du traitement durant la première année est de 20 à 25% et 20 à 30% des patients font ensuite preuve d’observance insuffisante

sources :
⁃ livre blanc de la fondation Concorde,mars 2014,Denis Fompeyrine
⁃ étude IMS Health/CRIP, nov 2014
⁃ Adherence to long-tem therapies. Sabaté et World Health Organization janv 2003
⁃ Medication adherence and persistence: a comprehensive review. 2005, Krueger, Felkey, Berger
⁃ Pourquoi se soigne-t-on ? G Réach, 2007L

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