Par le docteur Isabelle Aknin, ophtalmologiste, spécialisé en pathologies rétiniennes, président de l’ARMD, association de rétine méditerranéenne

Le mauvais œil de l’apnée du sommeil

Le syndrome d’apnée obstructif du sommeil (SAS), qui touche plus de 50 000 personnes en France, est souvent associé à l’obésité et au diabète. Ce terrain particulier est, en soi, une cause de comorbidité (deux maladies apparaissant chez le même patient). Mais existe-t-il une relation entre SAS et maladies de l’œil ?

L’apnée du sommeil est liée au glaucome, à la maculopathie diabétique, la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) et aux pathologies vasculaires, rétiniennes et du nerf optique. Il y a aussi une association avec un syndrome particulier : le floppy eyelid syndrom, qui est très rare, et qui est un relâchement anormal des paupières supérieures, (en clair des paupières « flaques ») avec mauvaise fermeture des yeux, sècheresse et maladies de la cornée (la partie antérieure de l’œil).

Pourquoi des maladies des yeux ?

L’œil est l’un des organes qui consomme le plus d’oxygène. Ce besoin est continu, et même si la consommation d’oxygène diminue un peu la nuit, le SAS induit une hypoxie (manque d’oxygène) et une hypercapnie (augmentation du CO²) qui induit une réaction oculaire.

D’autre part, l’apnée du sommeil crée une surpression veineuse dans la partie supérieure du corps, avec, comme conséquence un ralentissement de la circulation locale. Un ralentissement de la circulation veineuse entraine des complications locales : les veines se dilatent, le sérum sort des capillaires avec apparition (ou aggravation) d’un œdème.

Quelles maladies et quel risque ?

Cinq pathologies rétiniennes sont essentiellement liées à l’apnée du sommeil.

1. Le glaucome

Le glaucome est traditionnellement une augmentation de la pression oculaire. La conséquence est une atteinte du champ de vision : la vision centrale, vision fine qui nous permet de lire, etc. reste intacte. Et le champ de vision peut s’altérer sans que le patient ne s’en rende compte.

Dans certains cas, la montée de cette pression est intermittente : par exemple pendant les poussées de pression liées à l’apnée du sommeil. Puisque la pression est normale lors des consultations d’ophtalmologie, ces cas sont appelées « glaucome à pression normale ». Le glaucome à pression normale est traditionnellement symétrique (les deux yeux sont atteints). L’apnée du sommeil n’est pas la seule cause de glaucome à pression normale, mais on la retrouve, d’après certaines études, dans 2/3 des cas.

Le problème est que ces cas passent souvent inaperçus, puisque la pression est normale lors des consultations, et le champ de vision peut se dégrader avant que l’on ne s’aperçoive de quelque chose. Il est donc important, quand on a un SAS, de consulter un ophtalmologiste, dans l’idéal tous les 6 mois, et de lui en parler, pour faire faire des examens de dépistage.

Il a été montré un lien direct entre l’intensité de la perte des fibres nerveuses, et la profondeur des apnées. Inversement un patient qui a un glaucome (à pression normale ou non) devrait faire rechercher une apnée du sommeil.

Enfin, on pense que le SAS en diminuant l’oxygénation du nerf optique aggrave son altération.

2. Le diabète

Tout d’abord, il faut dépister l’apnée du sommeil chez les diabétiques, et inversement.

Chez un diabétique, en particulier en surpoids, il est important de rechercher un SAS et de le traiter. En cas de diabète avec œdème maculaire, la présence d’une apnée du sommeil augmente, non seulement le nombre de cas d’œdème, mais aussi la difficulté du traitement. Le SAS est retrouvé dans ¼ des cas d’œdème maculaire. L’œdème maculaire des diabétiques est difficile à traiter. La présence d’une hypertension artérielle, même labile, est un facteur aggravant, qui limite l’efficacité des traitements. L’apnée du sommeil a été retrouvée chez 30% des diabétiques dont l’œdème résiste au traitement.

3. Les occlusions veineuses

L’apnée du sommeil est aussi une des causes essentielles d’occlusion veineuse de la rétine.

À l’occasion d’une surpression locale, ou d’une diminution du débit sanguin due à l’apnée du sommeil, les veines se bloquent, et le sang peut coaguler dans la veine, avec engorgement de tout le lit vasculaire en amont, des petites hémorragies, un œdème, et, plus grave, des ischémies. La vue baisse brutalement en cas d’occlusion de la veine centrale de la rétine, ou le champ de vision est amputé en cas d’occlusion d’une branche veineuse. Là encore, l’apnée du sommeil peut être à l’origine de la surpression en cause, et/ou être un facteur aggravant qui limite l’efficacité des traitements.

4. La neuropathie ischémique antérieure aiguës non artéritique

Rare, mais sévère, c’est la deuxième cause de baisse visuelle permanente secondaire à une atteinte du nerf optique.

La réduction du débit sanguin lors des apnées expose à ce risque. De même que lors des glaucomes, le manque d’oxygène généré par l’apnée du sommeil est un facteur de risque des ischémies aiguës du nerf optique. En pratique, on se réveille avec une amputation totale ou partielle de la vue d’un œil.

C’est une urgence.

Le SAS est aussi fortement lié à une hypertension intracrânienne, liée à l’augmentation de la pression du liquide céphalo-rachidien (le liquide dans lequel baigne le cerveau…), avec ralentissement de l’influx nerveux. (70% des patients avec une hypertension intracrânienne ont aussi des perturbations du sommeil, et la moitié d’entre eux sont des apnées du sommeil).

5. La DMLA

En cas de dégénérescence maculaire liée à l’âge traitée par des injections oculaires, la présence d’une apnée du sommeil ralentit l’efficacité du traitement.

Une étude récente a montré qu’une apnée du sommeil peut entraîner une augmentation de 30% des injections. Le résultat visuel est aussi moins bon en cas d’apnée du sommeil. Par contre, l’appareillage avec masque nocturne annule ces effets négatifs sur le traitement de la DMLA.

Pour toutes ces raisons, il est important pour l’ophtalmologiste de demander au patient de faire un test diagnostique en cas de suspicion de SAS, car le traitement disponible augmente la qualité de vie du patient de façon importante, tout en améliorant le devenir des maladies oculaires liées à ce syndrome.

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